Vos dés vous mentent ils ? La vérité cachée derrière chaque lancer.
- Julien Lucas
- il y a 12 minutes
- 6 min de lecture
Et si ce "1 naturel" qui a tué votre perso n'était pas (seulement) de la malchance, mais la faute à un dé physiquement biaisé ? On a regardé ce que disent les tests...

Le mythe du dé parfait (et la foi aveugle du rôliste)
On la connaît tous, cette quête éternelle du Saint Graal rôliste : LE dé. Pas n'importe lequel, non. Celui qui ne te trahira JAMAIS. Celui qui te sortira des griffes du Grand Ancien avec un 20 naturel alors que t'as plus qu'un point de vie et que ton slip est déjà plein. Pour atteindre cet Olympe du hasard maîtrisé, certains sont prêts à tout : rituels obscurs, sacrifices de figurines mal peintes, et surtout... une foi inébranlable dans la "qualité supérieure" de certains bouts de plastique.
Et là, les regards se tournent souvent vers Gamescience, ces fameux dés aux arêtes si vives qu'elles pourraient dépecer un Nazgûl, auréolés de la promesse d'un équilibrage divin grâce à leur fabrication "non polie". En face, le bon vieux Chessex, l'omniprésent du polyèdre, celui qu'on trouve par seaux entiers. Alors, la question qui tue : est-ce que cette différence de fabrication, cette réputation de "précision", se traduit vraiment par des jets plus "justes" ? Ou est-ce qu'on se fait juste enfler par une légende urbaine aussi tenace que celle du MJ qui lit vraiment tous les scénarios qu'il achète ? j'ai déniché un test, un vrai, qui a osé mettre les mains dans le cambouis statistique. Accrochez-vous à vos fiches de perso, la vérité risque de piquer autant qu'un échec critique sur un jet de sauvegarde contre un doigt de mort.

Le crash test : Awesome Dice joue les scientifiques (plus ou moins)
Nos cobayes du jour : un D20 Chessex, le standard de nos trousses à dés, et un D20 Gamescience, tout droit sorti de sa boîte, avec ses arêtes prêtes à vous écorcher un doigt si vous le regardez de travers (juste encré pour lire les chiffres, pas de modif' initiale). Le site Awesome Dice, donc, a décidé de jouer les laborantins pour nous éclairer. Leur mission, s'ils l'acceptaient (et ils l'ont fait, pour la science... ou pour le clic, va savoir) : la bagatelle de 10 000 lancers pour chaque dé. Oui, dix mille. j'imagine déjà le stagiaire en PLS, les yeux cernés, marmonnant "encore un 18..." dans un coin obscur du bureau.
Le protocole se voulait sérieux : lancers à la main sur une surface plane, avec une distance minimale et un rebond obligatoire, histoire de simuler des conditions de jeu réelles et d'éviter que le lanceur ne devienne lui-même le facteur X. Pour analyser cette avalanche de chiffres, ils ont sorti l'artillerie lourde (enfin, pour des vendeurs de dés) : le test statistique du chi carré (χ²). En deux mots pour les allergiques aux maths : c'est un outil pour vérifier si la répartition des résultats de tes jets s'écarte beaucoup (ou pas trop) d'un hasard parfait, où chaque face de ton D20 aurait idéalement 5% de chances de sortir. Pour bétonner leurs observations, ils ont même mené un second test de confirmation sur 1 600 lancers avec de nouveaux dés des deux marques, histoire de voir si la tendance se maintenait. (Spoiler : oui.)

Le verdict (prépare ton cutter, ça devient technique)
Alors, après ce traitement de choc, qu'est-ce que nos dés ont avoué sous la torture statistique ? Attention, la réalité est un peu plus tordue qu'un scénario de Cthulhu.
Première claque : selon le test du chi carré d'Awesome Dice, aucun des deux dés testés (ni le Chessex, ni le Gamescience) ne roule de manière parfaitement aléatoire. Oui, tu as bien lu. Les deux s'écartent des 500 occurrences attendues pour chaque face sur 10 000 lancers, et les tests de confirmation ont appuyé ces résultats. Le rêve du dé parfaitement équilibré en prend déjà un coup.
Le D20 Chessex ? Il présente une variabilité plus grande et plus diffuse, s'écartant davantage de la distribution idéale sur un plus grand nombre de faces. Son écart-type (une mesure de la dispersion des résultats) est le plus élevé des deux (78.04 selon l'étude principale). En gros, il est un peu plus "foufou" et moins prévisible dans ses imperfections.
Le D20 Gamescience, alors ? Son profil est différent. Si l'on met de côté un défaut majeur, ses résultats sont globalement plus "resserrés" autour de la moyenne (écart-type plus faible à 60.89), suggérant un comportement intrinsèquement un poil plus "discipliné" et plus proche d'un résultat idéal. Le GROS hic, c'est ce fameux chiffre 14 qui est dramatiquement sous-représenté (une déviation de -41% !). La théorie d'Awesome Dice, c'est que la petite bavure de plastique issue du moule ce qu'on appelle le "flash" ou la "sprue mark" (marque de coulée) située sur la face du 7 (qui est à l'opposé du 14), déséquilibre le dé et l'empêche de s'arrêter aussi souvent sur ce malheureux 14. Ce défaut a d'ailleurs été confirmé lors de leur second test.
Le twist du bricoleur de génie (ou du psychopathe du dé) ? L'article d'Awesome Dice suggère que si vous prenez votre courage (et votre cutter ou votre papier de verre le plus fin) à deux mains pour soigneusement retirer cette excroissance sur le Gamescience, vous devriez obtenir un dé qui roule de manière "très proche d'un vrai aléatoire." Le Graal, enfin ? Peut-être, si t'as pas peur de te couper et que tu acceptes qu'il faille "finir" le boulot du fabricant.

Conclusion : ton dé, meilleur allié ou pire ennemi ?
Alors, que retenir de ce petit voyage au pays du hasard truqué (ou du moins, pas aussi pur qu'on le voudrait) ? Si même des marques établies comme Chessex et Gamescience nous montrent que leurs D20 ne sont pas des parangons d'aléatoire parfait, imaginez un peu le Far West que ça doit être avec la myriade d'autres fabricants et les nouveaux dés qui débarquent sur nos tables. Ceux avec du liquide scintillant à l'intérieur, un œil de cyclope qui te fixe, ou dieu sait quelle autre inclusion "pour faire joli" qui déplace subrepticement le centre de gravité.
L'étude d'Awesome Dice, aussi limitée soit-elle, soulève un point fondamental : ce petit bout de plastique (ou de métal, ou de résine précieuse) qu'on lance avec tant de foi ou de désespoir n'est peut-être pas l'oracle impartial qu'on imagine. Les imperfections de fabrication, même minimes, peuvent introduire des biais. Et si ce "dé maudit" qui ne sort que des 1 n'était pas juste le fruit de ta paranoïa légendaire ? Et si ce "dé béni" qui enchaîne les réussites critiques avait une petite aide… physique ? Comme le disent les auteurs d'Awesome Dice, pour jouer, la plupart des dés feront l'affaire ("both dice will work just fine. Seriously."). Mais l'idée qu'un Gamescience modifié puisse être le plus "vrai" est tentante pour le puriste.
Finalement, cette technologie qu'on croyait acquise, aussi simple qu'un polyèdre numéroté, cache peut-être plus de subtilités qu'on ne le pense. Et si, sans le savoir, certains d'entre nous trimballaient dans leur bourse à dés un véritable "cheat code" matériel, un avantage ou un handicap discret mais bien réel, gravé dans la matière même de leurs outils de jeu ? De quoi regarder sa collection d'un œil neuf... et peut-être un peu plus méfiant...
Alors, et toi ? Après ça, tu vas inspecter tes dés à la loupe à la recherche du défaut qui explique enfin ta poisse légendaire ? Ou tu penses que tout ça, c'est du foin pour geeks obsessionnels et que l'important, c'est le panache du lancer ? Viens me dire si tu soupçonnes tes dés de tricher en commentaires !
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